Article SNB

Course longue distance master (8 km) de Mulhouse - 07 octobre

La vocation de rameur Master impose de regrettables renoncements au confort de la vie moderne. Rendez-vous samedi matin 7 octobre à 6h30 au club. Réveil 5h… Nécessité de se goinfrer au petit-déjeuner alors qu’on n’a pas très faim en vue de l’effort ultérieur. 6h25 au club sous un froid de canard. Je claque des dents. Les températures estivales de l’après-midi m’ont fait oublier qu’en octobre les petits matins sont très frais. Nico, Jean-Marc arrivent. Puis Matthieu, notre chauffeur, entièrement emmitouflé (ça sent l’expérience). Federico se laisse désirer. Notre distrait a oublié sa combinaison à la maison. 

A 6h45, le camion démarre. Se trimbaler en ville avec une longue remorque sur laquelle nous avons attaché le Ville de Besançon (un peu esseulé sur l’attelage) n’est pas simple. Surtout dans les virages à angle droit. Matthieu maîtrise. Parfaitement. Autoroute à Marchaux. Direction Mulhouse. Le vrombissement du moteur nous plonge tous dans une relativesomnolence contre laquelle la dureté spartiate des sièges du camion nous aide à bien lutter. Pas facile de dormir. Peu à peu le jour se lève. Vers 8h j’assiste à une scène assez pénible pour un estomac délicat. Nous sommes trois heures avant l’effort, le temps nécessaire à une première digestion. Il s’agit de prendre des forces. Federico, prônant le chauvinisme culinaire, sort un plat de pâtes froides, Nico aussi. Jean-Marc une pleine gamelle de salade de riz (avec des morceaux de saucisses). Le genre ragoût-toutou. Une ration de guerrier. Je me contente d’un petit sandwich au saumon fumé. 

9h. Nous arrivons au lieu du rendez-vous, le long du canal qui rejoint le Rhin vers Saint-Louis. C’est désert. Sur le parking, pour tout comité d’accueil émergeant de la brume, une vieille Renault désossée et un sanitaire chimique amené pour l’occasion. Ambiance… On a connu plus avenant. Immédiatement, l’indispensable petit jeu de mécano : clef de 10, clef de 13. Pas de rame sans un peu de mécanique préalable. Puis séance vestiaire improvisé pour revêtir l’habit de lumière aux couleurs du club. Et dans la foulée l’échauffement. Moulinets de bras, petit footing gentillet. On a peine à transpirer. Sur ces entrefaites les organisateurs sont arrivés, avec stand, café et autres gâteaux. Une rameuse très sympathique de Mulhouse nous charge de transmettre son meilleur souvenir à Dylan (c’est fait). Apparemment souvenir d’une randonnée éprouvante dans les Ardennes. 

À 10h nous sommes sur l’eau. Nous devons partir en premier, à 10h50. Le soleil commence à poindre et l’atmosphère peu à peu se réchauffe. Nous sommes alors seuls sur le canal. L’eau est un voile que vient temporairement déchirer notre étrave. Une ambiance bucolique me rend poète. À 10h45, nous sommes sur la ligne, au kilomètre 7. À 10h49, « Besançon, prêt ? », puis quelques secondes plus tard, le coup de trompe libérateur.

C’est parti. Je suis le mouvement. Pour tenir l’effort, je veille à ne pas trop pousser (on peut me faire confiance !) et à juste relancer. Le rythme est assez soutenu, 28 coups par minute. De temps à autre, sur la berge, Matthieu apparaît sur son vélo, hirsute et nous encourage. « Bien long, ne vous effondrez pas (ça c’est pour moi), attention à l’arrière ». Je ne sais pas si j’ai bien regardé, mais je ne vois pas les autres symboles kilométriques. Curieux… Nous tenons, avec en off la voix de Matthieu pour nous houspiller quand il sent une pointe de relâchement. J’aimerais bien qu’on arrive vers la moitié quand subitement je distingue le chiffre 5 sur la berge. Malheur, nous n’avons parcouru que 2 km et il en reste 6… Je me dis que cela va être long. Très long. Je souffle comme un bœuf et j’ai la gorge sèche. Il faut tenir. Je n’ai pour tout spectacle que le dos de Jean-Marc qui se plie et se redresse alternativement 26 à 28 fois par minute. C’est un spectacle qui a son charme, mais bon quand même… On passe devant le ponton d’embarquement et un premier pont. Nous en sommes à la moitié. Ça me réconforte. La première bonne nouvelle. Enfin. Si nous avons tenu une moitié, on peut bien tenir la suivante !

Les jambes commencent à faire mal et j’ai cette gorge de plus en plus sèche. Je donnerais beaucoup pour boire un verre d’eau. Et puis toujours cette voix de Matthieu à travers les arbres pour nous dire de ne pas nous dégonfler et de tenir. On ne le voit plus, on ne fait juste que l’entendre. Puis sur le côté, le petit port qui au retour marquera l’arrivée. Et de 5 km ! Maintenant il faut trouver cette fichue bouée. Matthieu crie qu’elle est proche, qu’il faut tenir et pousser. Toujours plus fort. Mais punaise, j’ai beau me retourner, je ne la vois pas sa bouée ! Là, tout commence à devenir douloureux : les jambes, les poumons, la gorge, les bras. Il paraît qu’elle est toute proche. Il me prend pour une buse ! Enfin je la vois. Elle est énorme en effet, j’en conviens. Enfin, 6 km parcourus. Il n’en reste plus que 2. Nous nous sentons ragaillardis. Il faut juste tourner… Nous faisons n’importe quoi. Dans l’état mental et physique dans lequel je suis, je suis incapable de dénager bâbord.

Le bateau a péniblement effectué son demi-tour, et on reprend. Ça sent l’écurie. Nous avons retrouvé du peps, mais le corps entier brûle. Nous soufflons tous de plus en plus fort. Au septième kilomètre, j’entends Nico gueuler. Le dernier. Ouf ! Je sens que l’on commence à faire un peu n’importe quoi mais bon on essaie quand même de conserver la cohésion du bateau. Une tentative d’enlevage qui tourne court et enfin on franchit la ligne. La libération !

Une heure et demi plus tard, une choucroute bienvenue arrosée de bière, dans un winstub typique de Rixheim, nous réconcilie avec l’existence. Le soleil brille. Nous sommes tous fourbus et tous contents. Nous avons tenu et n’avons pas explosé en plein vol. 

Nous étions le seul équipage Master homme en quatre de couple. Ce qui comptait à nos yeux, c’était le temps mis pour nous étalonner. Federico nous apprendra le soir que nous avons fait le temps de 31mn 5 s, ce qui était bien au-dessus de notre objectif de 32 mn. C’était la bonne nouvelle du soir où nous avons tous éteint la lumière très tôt…